Bruno Dufayet « L’absence de vision politique sur les enjeux agricoles fait peur »
Les effets cumulés des récents accords de libre-échange (Ceta, Mercosur, Panel hormones USA) pourraient se traduire par la disparition d’un tiers des élevages allaitants. Clarifier notre modèle français et le positionner à l’échelle de la planète est essentiel.
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Plus favorables pour les fromages, les accords de libre-échange avec le Canada et les pays d’Amérique du Sud seraient destructeurs pour la viande bovine. Ils entraîneraient une baisse de 10 % du prix payé dans l’UE(1). Le risque de déstabilisation des marchés serait accru par un Brexit sans accord.
Bruno Dufayet : Le cumul des contingents tarifaires d’importation accordés avec des droits de douane réduits (de 0 à 7,5 %) représente 200 000 tonnes d’équivalent carcasse (Tec) supplémentaires importées dans l’UE. Ces volumes pèseront pour l’essentiel sur le segment des aloyaux (morceaux haut de gamme). Compte tenu des niveaux déjà bas des cours de marché de la viande, ce n’est plus supportable. La viande du troupeau laitier sera touchée indirectement.
Alors que les politiques et la société ne cessent de prôner une agriculture durable et de qualité, comment expliquer que l’Europe s’apprête à importer une alimentation produite dans des conditions de structures et de standards très différentes des nôtres ?
B.D. : À Bruxelles, tout est segmenté. Hormis le Parlement où les députés ont une vision plus globale, chacun ne se préoccupe que de son domaine. Le lobbying du business et le pouvoir des hauts fonctionnaires sont énormes. Cette incohérence politique se retrouve en France où l’on affiche une grande ambition pendant les États généraux de l’alimentation et où l’on signe parallèlement des accords avec des pays dans lesquels les farines animales, les hormones et les activateurs de croissance sont autorisés et qui font fi des enjeux climatiques.
La ratification à une majorité plus serrée que prévue du traité de libre-échange entre l’Europe et le Canada (Ceta) traduit-elle une prise de conscience des députés français de ces incohérences ?
B.D. : Certains députés LREM qui ont porté les Égalim sont en effet mal à l’aise. Ils doivent éclaircir le modèle qu’ils souhaitent développer pour l’agriculture française et l’assumer. L’Allemagne est plus cohérente que la France : elle a abandonné la moitié de ses agriculteurs et a favorisé l’agrandissement de ses exploitations pour doper sa compétitivité. Dans notre pays, l’absence de vision et d’accompagnement politique sur les questions agricoles fait peur, plus encore que les 65 000 t de viande canadienne supplémentaires. À ce rythme-là, à l’exception d’exploitations basées sur la vente directe situées à proximité des villes, on aura bientôt plus d’agriculture. Au cours de ces trois dernières années, on a déjà perdu 10 % d’effectifs de vaches allaitantes (toutes races confondues). En viande ovine, on ne produit plus aujourd’hui que 40 % de notre consommation. Je ne sais même plus si la souveraineté alimentaire est encore un objectif pour nos dirigeants.
Peut-on aller plus loin dans l’utilisation de « l’origine France » pour se protéger des viandes importées ?
B.D. : Nous demandons à la Commission européenne de rendre obligatoire la mention du pays d’origine pour tous les aliments transformés et non transformés circulant dans l’UE. Cette demande portée par la France est soutenue par les Belges, les Irlandais et les Italiens. Les pays du Nord (dont la Hollande, pays qui importe le plus) sont contre. L’étiquetage obligatoire de l’origine est un enjeu majeur.
Les propos tenus fin août par Emmanuel Macron(2) et le refus de l’Autriche de ratifier le traité du Mercosur vous rassurent-t-ils ?
B.D. : Ces déclarations constituent des avancées importantes mais nous restons vigilants : ce ne sont que des annonces. Dans ce combat, nous ne sommes pas seuls. La FNB a ainsi signé avec 72 organisations environnementalistes une tribune pour défendre le modèle de production français. C’est une vraie évolution. Le débat sur le libre-échange n’est pas clos : le Sénat doit encore ratifier l’accord signé avec le Ceta, bien que celui-ci soit entré en vigueur depuis deux ans déjà.
Propos recueillis par Anne Bréhier(1) Selon une étude de l’Institut de l’élevage. (2) « Nous ne signerons pas le traité de l’Union européenne avec le Mercosur en l’état. »
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